Quelques heures après la clôture des travaux du sommet des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN au siège de l’organisation à Bruxelles (3-4 avril), l’envoyé spécial de l’OTAN pour les pays du Sud, l’Espagnol Javier Colomina, était en visite à Tunis. Il avait déjà annoncé cette visite à la presse en marge de la réunion de Bruxelles, exprimant son intention de rencontrer le ministre des Affaires étrangères Mohamed Ali Nafti, le ministre de la Défense Khaled Sehili, ainsi que le conseiller à la sécurité nationale de la Présidence.
Cette visite s’inscrit dans la tournée régionale de Javier Colomina, qui a déjà visité le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie — pays que l’OTAN juge d’une grande importance en raison de sa position stratégique dans l’immense région du Sahel. La tournée se poursuivra dans les pays du Golfe la semaine prochaine.
Selon un communiqué du ministère tunisien des Affaires étrangères, la rencontre avec le représentant spécial du Secrétaire général de l’OTAN a permis de discuter de l’état et des perspectives du dialogue entre les deux parties, ainsi que du renforcement du soutien à la sécurité et à la stabilité dans la région. À son tour, le ministère tunisien de la Défense a publié un communiqué à l’issue de la rencontre entre le ministre de la Défense Khaled Sehili et le diplomate otanien, exprimant le souhait de la Tunisie d’accueillir la réunion annuelle des points de contact de l’initiative « renforcement des capacités de défense » en partenariat avec l’OTAN en 2025. Rappelons que la Tunisie bénéficie depuis 2015 du statut d’allié majeur non membre de l’OTAN.
Une inquiétude croissante face à la présence russe et chinoise
L’OTAN s’inquiète de plus en plus de l’expansion de la présence russe et chinoise dans la région, ainsi que de l’évolution rapide de la situation dans le Sahel et le Sahara, des dynamiques qui ne rassurent guère l’Alliance.
L’envoyé spécial Javier Colomina a souligné l’importance des relations avec la Tunisie, enracinées dans l’histoire, et a précisé que la coopération entre l’OTAN et les pays du Sud couvre la lutte contre le terrorisme, le développement des forces spéciales, la sécurité maritime, le renseignement, la formation militaire, ainsi que des domaines plus larges comme la diplomatie publique, les questions liées aux femmes et à la société civile.
Mais que cache réellement cet intérêt pour les pays du Sud ? Pourquoi l’OTAN tourne-t-elle aujourd’hui ses regards vers le Sud de la Méditerranée ? Quelles sont les perspectives de cette coopération ? Les priorités de l’OTAN s’alignent-elles avec celles des pays du Sud ? Et surtout, les valeurs et les principes que prétend défendre l’Alliance dans la protection des intérêts de ses membres s’appliquent-ils aux peuples du Sud ?
Une mission inédite après deux décennies de « Dialogue de l’Istanbul »
La nomination d’un envoyé spécial de l’OTAN pour les pays du Sud, décidée lors du sommet de Washington en 2024, est une première dans l’histoire de l’Alliance fondée il y a 76 ans. Cette mission inédite intervient alors que les régions du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord, du Sahel et du Golfe connaissent de fortes turbulences — guerre à Gaza, tensions en mer Rouge, en Iran et au Liban…
L’OTAN espère renforcer ses partenariats dans le Sud pour faire face aux menaces transfrontalières, au terrorisme, à la prolifération des armes chimiques et biologiques, et à l’instabilité croissante dans les zones du Sahel et de la Méditerranée.
Une inquiétude sur Gaza… mais peu d’engagement
Interrogé sur la guerre à Gaza, Colomina a affirmé que l’OTAN suivait avec beaucoup d’inquiétude la situation, qu’elle considérait comme une menace grave pour la stabilité du Moyen-Orient. Il a salué les efforts des pays arabes en faveur de la reconstruction de Gaza, et appelé à une cessation des hostilités. Toutefois, il a souligné qu’il n’existait pas de consensus au sein de l’OTAN pour une action dans cette région et que l’Alliance ne dispose pas de politique spécifique concernant le conflit israélo-palestinien. Pour lui, l’OTAN ne joue pour l’instant aucun rôle opérationnel au Moyen-Orient, mais reste prête à contribuer à la stabilité régionale si les Alliés le décident un jour.
Des leçons amères : Afghanistan et Libye
Colomina reconnaît que la réputation de l’OTAN dans le monde arabe est entachée par ses interventions passées. Il évoque le retrait chaotique d’Afghanistan après vingt ans d’occupation, qualifié d’ »échec total », ainsi que l’intervention militaire en Libye sous la houlette du président français Nicolas Sarkozy. Concernant ce dernier point, il insiste sur le fait que l’intervention a été menée à la demande de la communauté internationale et de la Ligue arabe, bien qu’il admette que les choses ont ensuite dégénéré.
Il nie tout lien entre l’OTAN et le gouvernement syrien actuel, et précise que l’Alliance n’a pas été impliquée dans la guerre à Gaza.
Le Sahel : une priorité stratégique
L’envoyé spécial estime que le Sahel est aujourd’hui la région la plus vulnérable au monde, avec des risques majeurs pour la sécurité de l’Europe, de la Méditerranée et de l’espace atlantique. Il affirme que les relations avec le Sud sont plus cruciales que jamais.
Lors du sommet de Washington, l’OTAN a affirmé vouloir renforcer sa coopération avec les partenaires du Sud pour promouvoir la paix, la stabilité et le développement dans ces régions.
Le Sud : entre risques et opportunités
Javier Colomina considère également que malgré les défis, le Sud représente une source d’opportunités. Les partenaires de l’OTAN dans cette région possèdent des connaissances cruciales et des capacités importantes qui peuvent contribuer à la sécurité régionale. Selon lui, la coordination accrue de l’OTAN dans cette zone est essentielle. Pour la première fois, une zone géographique est entièrement couverte par une représentation spécifique chargée de synchroniser toutes les actions de l’Alliance dans la région.
Une tournée avant le sommet de La Haye
Colomina a déjà visité sept des onze pays partenaires de l’OTAN dans le Sud, et prévoit de tous les visiter avant le prochain sommet de l’OTAN à La Haye en juin. Sa tournée intervient peu après l’adoption de la nouvelle « agenda Sud » de l’Alliance, document présenté aux ministres des Affaires étrangères de l’OTAN à Bruxelles.
Il prévoit également de rencontrer les partenaires de l’OTAN dans le Golfe après son passage en Tunisie. Il a réitéré sa volonté de renforcer le dialogue avec les organisations régionales et internationales : l’Union africaine, les Nations Unies, l’Union européenne, la Ligue arabe et le Conseil de coopération du Golfe.
Trente ans après le lancement du Dialogue méditerranéen, et vingt ans après l’Initiative de coopération d’Istanbul, l’OTAN semble vouloir redéfinir ses priorités et explorer de nouveaux domaines de coopération stratégique avec le Sud.